Camping-Charisme – Prologue et Chapitre 1 (Inédit)

Prologue

Ce livre n’est pas un manuel. Ni un complément à ceux que j’ai déjà proposés. Certes, la plupart des chapitres reprennent des questions auxquelles ces ouvrages ont tenté de répondre. Mais, volontairement, la forme en est toujours anecdotique. Foin de l’école et de ses modèles ! Quant à l’esprit, si je peux risquer un mot-valise, il s’inscrit dans une approche personnelle de cette « itinerrance » que nous pratiquons plus ou moins une grande partie de l’année. Riche en découvertes, porteuse de joies simples, à la fois bohême et casanière, bref éminemment gratifiante à en juger par le nombre grandissant d’adeptes qu’elle a conquis ces dernières décennies.

Ami lecteur chevronné, le bonheur de ces néophytes ne vous rappelle rien ?… Mais si, voyons, votre premier départ. Inoubliable, je n’en doute pas ! Enfonçons la touche play, et revivons-le au présent. Selon la densité de vos moyens, vous venez de vous procurer un camping-car. Achat ou location ?… Neuf ou occasion ?… C’est votre affaire. A vous le bel objet du désir. Sans plus tarder, une fois familiarisé avec la conduite et les équipements, commence d’ici peu la conquête du temps qui va et vient. Avec son cortège d’images nouvelles ou revisitées.

Oubliés les soucis du voyageur ! Détermination longtemps à l’avance du champ opératoire, recherche des points d’étape, contingences bouffe-hôtel, soumission à l’heure et au lieu du rendez-vous en cas de tour organisé. Au diable ces contraintes qui gâchent le plaisir d’aller respirer l’ailleurs ! Au minimum vous paraît utile la consultation d’une carte ?… Bof… Le repérage d’un point de chute possible mais non définitif ?… Quelques infos puisées dans les guides et les revues spécialisées ?… Eau, gaz, électricité, carburant, les pleins du véhicule ?… Cette fois, tout est paré. Il ne reste qu’à tourner la clé de contact dans le bon sens. On part… On est parti… A nous les vacances sur mesure !

Quant au bouclage du nécessaire bagage, il s’est effectué sans casse-tête. Par quel secret ?… Bête comme chou. Suffisait d’avoir tout en double, ou presque. Une bivalence familière au propriétaire de résidence secondaire. Sans nœud au mouchoir. Un autocaravanier tête en l’air oubliant quelque gadget peut toujours se payer le luxe de revenir sur ses pas (plus grave : je crois avoir laissé le gaz allumé !…). Ses compagnons d’équipée apprécieront modérément… Parfois lui feront savoir… Mais le loueur de bungalow ou l’affréteur de charter ne lui factureront pas son retard. Et par la suite, s’il a prévu de fréquenter un site donné, rien n’empêche d’en changer quand l’intempérie le tracasse ou si le cadre n’est pas à la hauteur de ce qu’il en attendait. Nul besoin d’avoir contracté une assurance annulation. Aucun doute. Pour chevaucher l’aventure, notre liberté de manœuvre est totale. Elle s’apparente à celle du fan de caravaning. Ou encore, avec des possibilités de confort plus abouties, à celle du campeur vététiste. Allons, je cause, je cause… Et prêche un converti.

Renouons le fil de notre entrée en matière. A part la modeste chronologie de l’annexe, ces pages ne sont pas non plus une étude historique. Demain, peut-être, des érudits fouilleront la poussière des archives automobiles. Je me réjouis d’ores et déjà de ce qu’ils trouveront.  Quand le camping-car sera centenaire (dans sa forme actuelle, il dépasse déjà l’âge canonique), eh bien, le temps sera venu d’apprécier les attendus de ces « camping-carologues ». Vous les lirez avec intérêt et visiterez les conservatoires d’antiquités donnés en référence, j’en suis persuadé.

Tout autre est mon propos. Je ne désire que reporter ici quelques souvenirs. Glanés le long d’une trentaine d’années brinquebalantes. Plusieurs fois le tour de la terre ! Dans les lacets d’un parcours en majorité européen, j’entends. Car n’espérez point des récits de chasse au tigre sur le toit de ma machine cornaquée comme un pachyderme à trompe. Ni de potlatchs chez les Papous du Boswana. Le ridicule ou la consultation d’un atlas dénonceraient le hiatus.

Non. Mes pérégrinations n’ont rien du hors-piste à la boussole. Déplacements de père de famille sur des chemins d’asphalte, elles empruntent des trajets envisageables par tout un chacun. Enseignant aux vacances de potache ou retraité que titille l’envie de prendre le large. Bricoleur maison d’un pick-up zoomorphe ou acquéreur friqué du dernier clou de la saison. Sans idiote prise de risque pour déflorer une cassette qu’on enverra à ces désopilantes émissions télé où se casser la jambe déclenche l’hilarité générale ! Chacun son métier. Laissons l’image-choc aux pros du scoop, ils en vivent.

Un léger grain de sable parfois ? Le fauve mord le pare-chocs avant ou le grand sachem souhaite que nous échangions nos épouses ?… Un peu de sérieux. Rien de tout çà. A peine, de temps à autre, un petit frisson vite réchauffé. Car je vous souhaite de passionnantes équipées aussi paisibles que les miennes. Et c’est avec en filigrane le vœu de voir se réaliser cette équivalence que, chemin faisant, je me permettrai de glisser un conseil de « vétéran ». En disposer comme bon vous chante…

Bons et heureux voyages. Et vive le « camping-c(h)arisme » !

D.B.

« Le jeu du campement, c’est de montrer
à la civilisation que l’on peut se passer
d’elle. » Paul Morand. Eloge du repos.

                                       Mise en place.

 

Notre beau souci. Le premier, dirai-je. Pour les tenants du voyage permanent, ceux qui n’aiment pas prolonger le surplace, ni se complaire en des lieux clos, la quête s’avère obligatoire plusieurs fois par jour. Afin d’assurer leur repos nocturne et pour satisfaire aux exigences de leur survie. En clair, pendant les heures de sommeil et de repas. Avec des durées différentes, ça va de soi, mais dans une même optique : la sécurité. Celle que pourrait compromettre la proximité d’humains animés d’intentions hostiles ou malhonnêtes.

Une halte réussie grâce au confort qu’assurent les équipements d’un camping-car bien conçu. Pour peu qu’on l’installe dans un environnement bienveillant. En évitant les aléas causés par les rigueurs du climat, froid, neige (y’en a qui aiment…), pluie persistante, vents violents et autres nuisances désagréables pour notre santé morale et physique. De plus, côté matériel, préjudiciables à la bonne conservation de notre bien et à son fonctionnement sans faille.

Quelques précautions à prendre ?… Tout d’abord, disons qu’il est formellement exclu de s’arrêter en terrains inondables, trop près d’une rivière susceptible de se muer en torrent, notamment en pays montagneux. Même réserve prudente pour l’arrêt sur une grève ou la marée montante pourrait concurrencer un gagnant du Derby. Attention aussi au séjour sur les môles, bercés de jolis clapotis le jour, de vrais Niagaras la nuit quand la vaguelette se fait rouleau pour enjamber le remblai. Et croyez-moi, l’irruption de liquide ne concerne pas seulement le stationnement dans les endroits à risque, mais parfois celui pratiqué sur des terrains de camping où la pente des écoulements a été mal calculée.

Ainsi, un bel automne au Portugal, nous fréquentons un Parco de campismo quasiment vide,

au sol mi-terre battue mi-herbe rase, mais a priori portant et sans aucune déclivité. Soirée calmos. En pleine nuit, une pluie diluvienne me réveille en sursaut. Flic-flac, flic-flac ad bene placito. Un coup d’œil dehors par un coin de rideau levé ?… Terrifiant ! Nous sommes entourés d’eau comme Crusoë sur son lopin de terre chilienne ! Le temps d’enfiler le K-way et les sabots de jardin, je ne fais qu’un bond du lit au lac, pour :

1)      me rendre compte du peu d’épaisseur de la nappe,

2)      rentrer le chien trempé comme une vieille spontex,

3)      étendre le pauvret sur un peignoir en l’empêchant de s’ébrouer ainsi que le font ses pareils dans ce genre de situation,

4)      le bouchonner aussi vigoureusement qu’un lad soucieux de son pur-sang.

5)      lui enjoindre fermement de ne pas manifester bruyamment son plaisir dans le coin que, trop heureux d’être des nôtres, il s’est choisi,

6)      ressortir pour débrancher mes prises électriques que va sûrement recouvrir peu à peu une onde sournoise,

7)      remonter me sécher,

8)      brancher le frigo sur le gaz, ce qui implique un nouvel aller-retour sous la flotte pour ouvrir les bouteilles,

9)      tenter la reconquête d’un sommeil de naufragé en essayant de ne pas penser à l’adhérence de mes pneus quand sonnera l’heure du départ.

Le traintrain par temps humide, quoi… En fait, le lendemain matin, aucun lézard. Le sable lusitanien avait bu les pleurs du ciel. Nous avons décollé comme sur un tarmac. Plus de peur que de dégâts. Mais j’aurais dû me méfier. Entourée de marécages, la ville en question s’appelait Peniche !

On peut se trouver confronté à d’autres situations délicates. Falaise qui perd ses pierres, éboulis risquant de s’aggraver, bord de route plus ou moins meuble, arbre en cas d’orage (les quatre pneus d’un véhicule fermé isolent ses occupants de la foudre ?… enfin je crois, mais ne le protègent pas d’un chêne qui s’abat), marais nappés de moustiques ou vergers à fruits mûrs criblés de guêpes, bref partout où existe une possibilité de désagréments dont, selon l’intensité de vos goûts pour l’aventure, je vous laisse le soin de mesurer l’importance.

Tenez.  Parler d’insectes me rappelle un souvenir pointu. Dangereux ?… Pas vraiment. A condition de ne pas souffrir d’allergie au venin d’apidés… Nous sommes dans la plaine du Pô, à mi-chemin entre Crémone et Mantoue. Deux villes italiennes que j’aime (en est-il que je déteste ?) A peine nous venons de quitter un parking voisin de ruches ouvrières, qu’un essaim d’abeilles affolées par je ne sais quoi vient s’écraser sur mon pare-brise. Splash ! Engluant le sécurit et paralysant la coupe Davis des essuie-glaces aussitôt sollicités. Pas question de descendre esquisser un sommaire nettoyage. Je supporte mal les cloques… Juste le temps de vérifier la fermeture des baies. Pour ne pas qu’une minuscule balle jaune vienne s’aplatir en ace dans notre carré de service. 7-6. Tie-break terminé… Le ménage, un autre jour. Le plus urgent c’est d’appuyer lourdement l’image tennistique en dégageant le court. Rapido. Mais qu’il est donc difficile de distinguer une bordure de route au travers d’une vitre dégoulinant de miel !

Quant au paysage de nos étapes… ne point trop compter s’en griser en permanence. Certes il est plus gratifiant de bénéficier d’une vue sur la Lorelei que sur une décharge municipale. Question de prunelles, mais aussi  de narines… Et contre ce dernier trouble de voisinage, si vous traversez la Castille, je vous recommande d’éviter le stationnement près des élevages de poulets en batterie. Beurk ! A vous dégoûter de la volaille demi-deuil… Dans un même souci anti-relents, restez au large de stations d’épuration comme on en rencontre sur nos côtes d’Armorique. Un seul exemple, on pouvait stationner jadis à l’extrémité du quai de Pont-Aven. Mais l’ex-village de peintres reste  favorable aux camping-caristes, puisqu’il leur réserve une aire très hospitalière. Ils peuvent maintenant s’éloigner du pot au noir.

Hélas ! on ne découvre pas toujours la place idéale. Comme tout le monde, les jours de grandes liesses aoûtiennes, après moult essais infructueux, il nous est arrivé de déjeuner contre le mur crassouillard d’une station-service d’autostrada. Avec, par un coin de fenêtre, un gros cul nous ayant laissé quelques centimètres carrés de vision, le gracieux spectacle du vulgum pecus « mortadellant » sur l’herbette dans les parages de poubelles qu’on avait dû vider à Pâques. Jamais cuisine, mise du couvert et ingestion de notre menu n’ont été si rapides…

Je me souviens aussi d’un impossible assoupissement sur une bretelle entre Belgrade et Thessalonique avec deux quinze tonnes yougoslaves dans les ruelles du lit (bonjour la musique de leurs glacières fonctionnant en permanence). Pourquoi ce choix malheureux ?… Stupide respect du temps de route nous y contraignant ?… Ferry-boat à ne pas manquer ?… Lassitude commandant de trouver quelque repos ?… Quelle qu’en fût la raison, prenant notre manque de confort en patience. Tant qu’à ne pas fermer l’œil, autant que le responsable soit le trafic, non la crainte d’une attaque potentielle. Un moyen de se rassurer d’ailleurs relatif. Victimes ensommeillées ou pas, les agressions sur les aires aménagées ne sont pas réservées qu’aux touristes germaniques en B.M.W.

Sacrée sécurité ! Je l’ai écrit plus haut, elle passe forcément par l’humain. Sa présence comme son absence. Pour conjurer tout risque, d’aucuns préfèrent s’exiler en pleine nature, au milieu d’une forêt, sur un rivage désert, loin de toutes promiscuité jugée a priori suspecte. Bande de sauvages ! D’autres, que la solitude oppresse, se rapprochent au contraire de maisons qu’ils supposent habitées. Si quelque malfrat tentait de les attaquer, peut-être pourraient-ils appeler à l’aide, klaxonner longtemps, faire des signaux de détresse, enfin applaudir à la fuite du voyou désarçonné par l’arrivée d’un tiers courageux ?

Dans cette optique, ces collègues proscrivent les lieux animés de jour mais vides la nuit, piscines et stades, nécropoles solitaires (elles le sont souvent…), écomusées, chantiers en cours, usines non gardées, ruines historiques, parkings de supermarché en zones industrielles, etc. En fait, pour contrer la méchanceté des uns, ils en appellent tacitement à la générosité des autres, les bons, les braves, les secourables.

Doux innocents ! Au risque d’être taxé de désamour envers l’humanité, je ne suis pas sûr qu’en cas d’urgence, l’occupant des lieux près desquels ils se sont installés soit disposé à quitter son home douillet pour secourir le pauvre camping-cariste assailli sous son balcon. Comprenons-le. Pour l’autochtone, neuf fois sur dix, vous êtes un intrus. « Il y a des endroits spéciaux pour les gens comme vous » (sous-entendez « peu fréquentables »), m’a-t-on lancé un jour. Comme moi ?… Je ne suis qu’un innocent voyageur ?… C’est vous qui le dites… Un pollueur d’usufruit, en tout cas. Au pire un romano voleur de poules. Et, pour le moins, un grossier personnage qui n’a pas sollicité l’accord de l’ayant-droit au sol.

Le cas échéant, je m’efforce donc d’interviewer le premier quidam aperçu de notre camion arrêté. « Bonjour monsieur… je vous prie de m’excuser… Pensez-vous que rien ne s’oppose à notre implantation momentanée ?… Nous serons partis à l’aube, vous savez… Merci monsieur… C’est bien aimable à vous… Au revoir monsieur. » La réponse est très souvent bienveillante.

Cependant il n’est pas toujours possible de s’en tirer par quelques plans bien fayots. Arrivés tard dans un village, vous n’allez tout de même pas réveiller l’habitant pour lui demander si vous ne le dérangez pas ! D’ailleurs le type sorti de son lit n’est pas forcément le propriétaire de la parcelle que vous comptez squatter passagèrement ? Celui-là ou l’autre plus haut cité. Et leur feu vert n’a alors qu’une valeur consultative ?

En matière d’horaires tardifs, les panneaux officiels genre « Camping-caravaning réglementé, s’adresser à la mairie «  ont le don de me plaire. Vous connaissez beaucoup d’hôtels de ville avec personnel à l’écoute après dix-huit heures ?… A peu près autant que d’offices du tourisme ouverts le dimanche, principal jour de sortie des foules à la recherche d’informations.

Autre considération. Traversant des paysages déjà visités, le camping-cariste à le bonheur de retrouver parfois ses marques. Par le doigt béni du hasard. Ou presque sciemment, comme un oiseau migrateur jalonnant son vol d’atterrissages réussis que l’instinct lui conserve en mémoire. Mais nous avons dormi ici, non ?… Quelle satisfaction de se poser là où l’on s’est reposé (ou l’inverse) ! Cependant « nada dura siempre en este mundo » affirmait mon Assimil espagnol qui ne craignait pas les clichés usés jusqu’à la corde (moi non plus…). Les décors d’hier se peuplent et se transforment. Ainsi, revenant à Spetsai, Michel Déon ne pourrait plus dire de son île grecque préférée « qu’elle respire le silence« . Aucune pétarade, c’est vrai, les moteurs sont toujours interdits de séjour. Mais pas les boîtes à techno, quelques bistros bruyants, et surtout des bandes de bronzés aussi respectueux du sommeil d’autrui que des Parisiens en vacances à Saint-Tropez. Bonjour tristesse.

Stop ! Il est temps que j’arrête ces images négatives. Qu’allez-vous penser ?… Curieux cet auteur. Il n’arrête pas de noircir tout ce que lui a fait découvrir son loisir préféré. Inondations portugaises, hyménoptères lombards, vacarmes hellènes !… Charmant. Alors vite, du bonheur. Avec cette Grèce que nous venons d’entrevoir. Dans ce pays magique et hospitalier, la chance est toujours du bon côté. Le nôtre. Alors en matière de gîte, petit conseil. Pour la susciter sous de favorables auspices, mieux vaut entamer les recherches de bonne heure. Quand le jour luit encore. Et pas en s’appuyant sur l’opinion de ses phares, si éclairée qu’elle puisse être. Se diriger la nuit n’a rien de compliqué pour un pilote, je vous l’accorde. Mais poser sa carlingue aptère sur un terrain obscur est une autre paire de manches à balai.

Traversant en fin de journée le Magne, sublime pointe montagneuse à l’extrémité du Péloponnèse, je commets deux erreurs. Prendre la mauvaise route et me planter copieusement dans une épingle à cheveux. Mon véhicule barre totalement l’esse d’un virage en pente abrupte. De plus semé de gravillons, piètre support pour les pneumatiques. Un mur d’un côté, de l’autre un buisson masquant totalement, qui sait ? un trou sur l’abîme. Les ravins fleurissent de carcasses rouillées… Aucune autre solution que de reculer et d’avancer au compte-gouttes pour continuer la descente. Bien que des piétons me fassent comprendre par gestes qu’il s’agit d’un cul-de-sac… Bof ! On verra bien. Ici, impossible de tourner pour rebrousser chemin.

Cent mètres à peine. Et nous tombons dans une grécité digne d’un cadrage de Cacoyannis !

Sommes à Kitries, nom que ma carte ignore. Une agora éclairée a giorno, deux platanes ancestraux, une chapelle croquignolette, dont le pope sirote un retsina à la terrasse d’un troquet pieds dans l’eau (le bar, pas le curé…), des poulpes qui sèchent au-dessus de clients attardés, deux ou trois caïques et leurs pêcheurs, un joueur de bouzouki, beaucoup trop too much !… Mais surtout un large quai où nous passons une nuit exemplaire. Plus que suffisant pour nos évolutions automobiles afin de repartir sur la montée en serpentins d’alambic. Un moyen d’accès à cet éden, que, de jour, je n’aurais jamais emprunté, quel que soit mon besoin de boucler une harassante journée de voyage.

La chasse au stationnement se fait aussi pédestrement ou à bicyclette quand on ne veut pas se limiter à fréquenter uniquement des endroits marqués d’un P. Notamment ceux qu’une municipalité prévoyante a semés de panonceaux précisant les jours de marché. Se réveiller en sursaut dès potron-minet dans les demi-bœufs et la désapprobation muette des étaliers qui se les coltinent n’a rien d’agréable. Ces gens travaillent. Nous on se balade. Y’a comme un malaise… Ça nous est arrivé à Malte. Vu le sourire rentré des bouchers et l’hermétisme de la langue, difficile de plaider la bonne foi… et le manque de panneaux. Sans attendre, nous avons préféré aller établir nos quartiers de viande ailleurs.

Poursuivons. Dans une ville de quelque importance, qu’il est donc déplaisant de passer la nuit sur un parking rikiki. Ou, pire, le long d’un trottoir, à touche-touche avec d’autres véhicules, du genre « ventouse » pour emprunter au vocabulaire policier. Les petites communes sont plus accueillantes, moins avares d’espaces libres, aménagés ou non. Un exemple français de choix, « l’aire de délassement » signalée à Comporte Saint-Aviel, le long d’un bras de la Charente. Vaste, gratos et parfaitement équipée. Sanitaires avec prises, glace pour se raser, eau, bac à vaisselle, un luxe raisonnable.  Le tout sent le neuf, espérons qu’un entretien fréquent a été prévu au cahier des charges. Impeccable, cette installation pour le touriste de passage. Encore faut-il qu’elle le demeure… Légère ombre au tableau : un « Interdit aux gens du voyage » (pour optimiser l’habituel « nomades« ). Ouais… « Limité à 24h » suffisait amplement.

La campagne donc, plus que la ville. Pourtant, en milieu urbain, il existe parfois des possibilités séduisantes. Ainsi, à Alexandrie, prestigieuse métropole méditerranéenne qui  pleure aujourd’hui son passé étincelant par les yeux crevés de ses fenêtres délabrées, ce n’est pas seulement un parking qu’on assortit d’un péage, mais l’intégralité d’un quartier plutôt cossu. Près du palais d’Al-Muntazah, ancienne propriété faroukienne, rues et placettes vous sont grand ouvertes après franchissement d’une barrière gardée militairement. Paisible et rassurant. Il est vrai qu’avec le prix d’entrée, on pourrait localement acheter dix litres d’essence. Pour nous une misère. Pour un Egyptien même nanti, une folie !

Au crépuscule, ces stationnements silencieux sont souvent recherchés par des automobilistes amateurs de coins sombres. Le vigile du coin baisse les yeux, mais vient quand même de temps à autre donner un coup de chiffon sur les pare-brises embrumés. En sifflotant il annonce sa présence. Pour le respect de la morale, je suppose, pas pour la perception d’un bakchich… Corruption d’un représentant de la loi ? Ah mais !… Ne vous effarez pas. Il est des pays où tout renseignement demandé aux flics doit s’accompagner d’un petit quelque chose. Sinon, la réponse risque d’être… approximative.

En occident, gardien en moins, la pratique n’est guère différente. En bout de routes non terminées, dans les impasses, les culs-de-sac qui s’élargissent en rond-point. Partout où règne une pénombre complice, dans laquelle les couples cherchent à se faire oublier. Un décor à l’éclairage défaillant que privilégient également les solitaires en mal d’âme sœur (ou frère…). Et d’où ils repartent parfois la rage au cœur de s’en aller les mains vides, ce qui se traduit par des coups d’accélérateurs et des grincements de graviers. Au grand dam de nos fragiles oneilles.

Pour les camping-caristes inquiets, le fin du fin, c’est s’abriter sous l’aile tutélaire de l’Autorité. Facile ? Pas toujours. Ainsi, faisant souvent escale dans les monts du Lyonnais, nous avions l’habitude de nous garer à Vaugneray, sur un terrain vague situé juste devant le bâtiment de la maréchaussée. Superbe. Jusqu’au jour où nous nous aperçûmes que l’emplacement était désormais planté d’immeubles neufs qui nous avaient définitivement fauché la place ! Encore un nom à rayer sur nos tablettes.

Ah ! l’égide des forces de l’ordre ! Le voisinage d’un képi vaut tous les tranquillisants du Vidal. A fortiori celui d’un casque de pompier (on est sûr d’une disponibilité permanente). En Piémont, juste avant le Simplon, faire dodo à Domodossola, devant la caserne des Vigili del Fuoco, dont la lumière rouge ne s’éteint qu’au jour naissant, le pied romain ! Abordant ce mail je n’ai eu que l’embarras du choix. « Stationner ? Mais où vous voulez signor » m’avait aimablement invité le « gardien du feu » avec une large virgule de sa main balayant l’espace.

Autre accueil bienveillant quoique non formulé, cette fois en Tunisie. Où nous avons coulé des jours heureux en plein centre de la capitale. Non loin de la place d’Afrique, parqués sur le terre-plein de ce curieux édifice en V qu’est l’Hôtel du Lac, aigle sans tête aux ailes déployées. Juste devant le poste de police dont ni factionnaire ni fonctionnaire ne sont venus nous demander de montrer patte blanche. Par contre, dans le même pays, à Nefta, rien à faire pour être autorisé à profiter nuitamment des abords de la gendarmerie. Pour paraphraser une image parisienne tranquillement obsolète, une hirondelle ne fait pas le printemps.

Retour en Italie. Côté gabelous du sud de la Botte, indifférence totale à Ancona, Bari ou Brindisi. Au vu et au su desdits douaniers. Eux qui, pourtant, n’auraient pas laissé rouler un triporteur sans interviewer le chauffeur. Dans ces ports affairés, nous attendions un bateau appareillant à l’aube, ou bien, venant de débarquer, la fatigue nous avait dissuadés de chercher un asile plus souriant. Car, sachez-le, je n’ai aucune attirance pour les abords des bâtiments officiels. Sécurisants certes, mais rarement situés dans un site idyllique.

Que privilégier alors ? L’isolement intégral ou l’environnement habité ? Pour ma part, j’adopte une position normande. Ni trop près ni trop loin de toute construction visible. Après m’être assuré que mon camion ne gêne pas une sortie de voitures signalée ou non, le « football » des gamins du coin si poteaux de buts il y a, l’accès d’un slip pour bateaux, le ponton d’une navette, le passage de grands animaux, bref tout ce qui suppose une activité ludique ou laborieuse que la présence de ma grosse voiture pourrait entraver.

Pas question non plus, en zone urbaine, de polluer le look d’une vitrine ou d’un commerce. Tenez, un jour à Vichy, pour faire quelques photos du Thermal, je pose notre panier à salade devant un restaurant. Après avoir dûment rempli mes obligations dans l’estomac du parcmètre correspondant. Le patron sort et m’apprend que, tirelire ou pas, une ordonnance municipale prohibe l’arrêt d’un véhicule haut devant un débit de boissons ou un hôtel. Ah bon, première nouvelle ! Je n’ai ni vérifié, ni contesté, préférant me ranger plus loin, après paiement d’une seconde dîme.

Respectons le labeur d’autrui. Est sans contredit malapprise la colonisation du parking d’un bistro où l’on n’a rien consommé ! Surtout s’il se double d’un commerce de menues babioles comestibles ou pittoresques. Un petit effort, les étrangers. Trois tomates, deux cartes postales,

un journal souvent indéchiffrable, un litre du tord-boyaux local, une boîte de conserves à la limite de sa péremption et tout le monde est content. Par contre je ne vois aucune indécence à profiter gratos de la terrasse d’un hôtel fermé en basse saison. A condition, en partant, de ne rien laisser qui macule le sol.

Quant aux interdictions de camper, j’essaie de m’y conformer. Je dis bien « j’essaie ». Hum !… Car après avoir tourné et retourné comme un ours en zoo, il m’est arrivé d’être de mauvaise foi. De toute évidence, la phrase affichée se veut dissuasive. Suis-je concerné ? Bof… Je ne campe pas, je stationne, quelques moments, un certain temps, une heure pas plus (heu…), dans mon camping-car qui (cachons la carte grise) n’a rien d’une caravane. D’ailleurs quand il ne s’agit pas d’icônes sans équivoque, ces mini-diktats sont rédigés dans une langue que je parle si mal. Surtout si c’est celle d’une injonction (sur le parking du Königsberg, n’est ce pas ?…) de me présenter le lendemain matin devant vos foudres, Herr Kommissar… Moi pas compris.

 

Revenons à nos moutons noirs. Bêtes dérangeantes que nous sommes si l’on en croit les édiles planteurs de panneaux avec silhouette encapucinée. Haro sur les camping-caristes ! Que ces ennemis du loueur de couches ou de couverts garnis passent leur chemin! Circulez, messieurs les sans domicile fixé une fois pour toutes. Ici, la place est réservée aux gens qui apportent leur écot à l’économie de la commune. Et autres arguments à courte vue impliqués par ces oukases péremptoires et ségrégatifs. Alors qu’en matière d’arrêtés d’exclusion concernant nos véhicules, la loi française exige non seulement davantage de précisions sur les motifs de l’interdit mais aussi l’indication d’un autre lieu de stationnement nocturne. Question de formulation. Je n’aime pas la prohibition abrupte, il est tellement facile de « légiférer » plus courtoisement.

Pour être honnête, je dois rapporter ici l’explication que m’a fournie l’élu d’un village alpin sur la mention « camping sauvage interdit ». Ce libellé qui ne distingue pas la toile de la tôle sous-tendrait un dégagement de responsabilités. Un triste jour, à Château-Queyras, une roche se détachant de la montagne écrasa une caravane où dormait un enfant. Dramatique. Mais comme les tragédies de ce genre se terminent toujours devant une cour de justice, l’assureur des parents se retourna contre la municipalité. Qui fut condamnée. Autre exemple d’un dénouement similaire, des camionneurs se sont fait rembourser certains dégâts parce que les panneaux de mise en garde n’étaient pas posés sur une route fortement dégradée.

Il n’empêche que, dans la plupart des cas, aucun péril n’est à craindre. Non. Les édiles croque-mitaines veulent simplement nous empêcher de vivre comme bon nous l’entendons. Ce dernier verbe m’incite à vous parler d’un autre genre de nuisance. Le bruit.

Précisément celui qui trouble l’autocaravanier dormant dans sa demeure. Quels que soient l’épaisseur ou le traitement de sa coque, un camping-car n’est pas insonorisé comme une maison bourgeoise. De ce fait, à moins d’avoir un sommeil de gisant, s’arrêter aux abords des gares en exercice, c’est s’apprêter à passer une nuit blanche ! L’enfer sonore ! Ce fut notre lot en Calabre. A Villa San Giovanni, débarqués du ferry sicilien et, faute de mieux, trouvant à nous garer devant la « S.N.C.F. » italienne (???), nous avons bien cru jusqu’au petit jour que les trains passaient à droite, à gauche, voire au-dessus et au-dessous de notre sommier suspendu.

Même boucan sur les aires d’autoroutes. Certaines pourtant sont suffisamment profondes ou isolées par des arbres pour atténuer le zinzin du trafic. Eh oui, ça arrive ! Un soir, pas loin de Florence, emboîtant par hasard le pas d’un semi-remorque, nous découvrons un petit paradis presque désert. Une sorte de belvédère qu’on atteint par un pont et qui non seulement s’avère imperméable à tout brouhaha routier, mais aussi inaccessible à la circulation dans l’autre sens, c’est-à-dire vers Rome. De plus, commodité rare sur une voie à péage, une porte à tambour permet de sortir à pied de l’autostrada. Si la soif de pittoresque vous taquine, rien n’empêche d’aller boire un cappuccino au bistro voisin. Bien pratique.

Un mot du repos sur les humbles places de village qui parsèment nos chemins buissonniers. La tentation pour l’amateur de coins tranquilles. Et pour cause. Il semble que la vie des actifs s’y arrête au fur et à mesure que décline le jour. On doit se coucher tôt dans ces anciennes gravures sépia honorées par les mouches ? Le boulodrome, les vieux figés sous le marronnier centenaire, le bistro un peu crade, le monument aux morts des deux guerres, la mairie d’un côté, l’église romane de l’autre… vous voyez où je veux en venir ?

Les cloches, pardi ! Les poètes en font de murmurantes messagères, d’autres affirment qu’elles soulignent le silence. De mauvais coucheurs (j’ai bien peur d’en être un, plus exactement un « mauvais couché ») se demandent, quand leurs pavillons subissent ce tapage nocturne, comment les habitants des lieux qu’elles sonorisent arrivent à supporter leur retour toutes les quinze, trente, quarante-cinq et soixante minutes. Avec dans les cas généreux redoublements des carillons pour être sûres de n’avoir oublié personne. Ils ont dû s’habituer au récital. Comme les SDF et les sans-papiers qui gîtent sous les arcades des autoroutes. Dans des conditions de vie épouvantables…

Que ces auditeurs d’un perpétuel concert, me donnent, s’il leur plaît, la recette de leur dormition. Afin que je puisse m’endormir béatement, pieusement, naturellement. Et pas les conduits auditifs obstrués par des boules Quiès, petits tampons de coton enduits de cire qu’Ulysse imagina pour faire la nique aux sirènes d’Achéloos. A moins que l’inventeur ne soit le roi Midas, cherchant à atténuer l’acuité de ses oreilles d’âne ?

Heureusement, il est des bruits plus subtils. Le chant du ressac, le meltemi dans les drisses des voiliers grecs, les clarines de la transhumance, les merles du petit matin dans la Forêt Noire. Ou encore la pluie d’été berçant vos songes de son tintement continu sur le toit de la cellule… Quand il ne s’agit pas d’une véritable tempête qui se déchaîne sur votre ciel de plastique. Insoutenable sous certaines latitudes.

Un soir à Lanzarote, sol volcanique de l’archipel des Canaries où tout est plus noir que dans un polar de Raymond Chandler, nous croyons bon de faire halte en haut d’une falaise découverte, surplombant la plage de Puerto del Carmen. Donc assez loin du rivage. Pas de raz-de-marée à craindre. Une vue panoramique plutôt aérée ! Par un vent à décorner un Minotaure… Dans la nuit, l’ouragan nous réveille, secouant notre habitacle comme un vulgaire prunier, sifflant, crachant, giflant la carrosserie qui n’en peut mais. Ce n’est plus un camping-car, mais un navire en perdition, que dis-je, une coque de noix qui ballote à la merci de l’aquilon. Le film-catastrophe ! Impossible de clore la paupière. Le lendemain et tout le temps que dura notre séjour dans l’île de lave, nous prîmes soin de trouver abri derrière une chapelle, un pan de mur, une masse rocheuse pour échapper aux fureurs éoliennes du doux climat canarien.

Il nous reste maintenant à traiter d’un sujet-clé en matière de stationnement. Au repos pour plusieurs heures, vous aurez certainement pensé à dresser vos faisceaux sur un terrain plan, stable et de niveau. Primordial. Certes, nos frigos acceptent des gîtes importantes. Mais pour ce qui concerne la présentation des liquides, rien de plus gênant que de dîner sur une table où le potage prend des airs penchés. Et rien de moins confortable que de dormir les pieds plus haut que la tête. Ou en repoussant constamment un partenaire dont les glissements progressifs empiètent sur la place qui vous est impartie par consentement mutuel.

Je sais, certains camions sont munis de vérins pour rectifier plus ou moins les positions inclinées, voire mieux équilibrer leur porte-à-faux. En somme une version moderne de la béquille, ustensile des garages d’antan pour surélever les autos dont on avait ôté le train de roulement. D’autres camping-caristes super équipés utilisent des commandes électriques très sophistiquées avec témoin de fonctionnement sur le tableau de bord. Efficaces mais coûteux. Pas sûr que le jeu en vaille la chandelle ?

Enfin, plus économiquement, beaucoup de conducteurs manœuvrent au centimètre près pour grimper sur des blocs rectifieurs de niveau. Très habile. Avec mon premier véhicule, je ne pouvais les imiter. L’absence de porte de cabine supposait l’aide d’autrui pour vérifier une bonne cohabitation pneu plus cale. Puisque la caisse galbée et la glace semi-coulissante ne permettaient pas au chauffeur de voir sa roue avant droite.

Tout simplement, je préfère arrêter mon porteur sur un tapis de billard. En recherchant, parfois laborieusement, la planitude requise. Plutôt que jouer les dahus (chabiroux les nomme Henri Pourrat, housardes les Beaucerons), oiseaux mythiques qui, tous les chasseurs savoyards vous le diront, possèdent une patte plus courte que l’autre. Astuce congénitale qui leur permet d’atterrir et de proliférer à flanc de coteau.

Stabilité, ai-je suggéré ? Bien sûr, vous fuyez ce qui est susceptible de se dérober sous vos roues, la boue, le sable, voire l’herbe mouillée. S’enliser ? Grand Dieu, mais c’est la honte pour les automédons de tout ce qui roule, tracteurs et chenillettes exceptés. Ne souriez pas. Cela peut arriver tôt ou tard, justement là où vous pensiez trouver un terrain portant.

Au camping de Gray-sur-Saône, satisfaisant à tous égards mais où je m’étais empêtré les quatre pattes sur un gazon humide, un camionneur en vacances m’a refilé un truc utilisé sur les chantiers pour se dégager des gadoues traîtresses. Moteur arrêté, passer la première, et, sans débrayer, lancer le démarreur par saccades, plusieurs fois de suite jusqu’à libération. Souverain ?… Peut-être, car je n’ai pas osé utiliser une combine de départ contrevenant à tous les enseignements des moniteurs d’auto-école. En tout cas, pas recommandée pour la longévité du disque d’embrayage de ma monture. Sa robustesse n’a rien de commun avec celle des engins de labeur.

Pour le sable, écoutons Saint-Exupéry posant son Simoun sur la Terre des hommes : « Quant aux anciennes salines qui semblent présenter la rigidité de l’asphalte, et sonnent dur sous le talon, elles cèdent parfois sous le poids des roues. » On s’y croirait, non ? Avion ou camping-car, ces entraves à l’essor ne manquent pas de similitudes.

En cas de doute, j’ai donc pris l’habitude de descendre pour marteler le sol. Ce qui ne m’a pas empêché de me planter copieusement. En Saintonge, notamment, sous les pins du zoo de la Palmyre. Où, pour dégager mon zinc, plus je pelletais (merci les surplus américains et leurs mini-bêches), plus je m’enfonçais dans le trou que je creusais. Un boulot de Danaïde ensablée ! Que faire, sinon changer de mythologie et attendre le Messie ?… En fait un collègue compatissant qui, avec une bonne corde, m’a tiré de là, au propre comme au figuré.

Autre aria, cette fois à Groix, où le bord d’un fossé pris trop serré cède sous ma roue arrière gauche. Hop ! ma belle machine se couche sur le côté, et, par le déséquilibre, la roue avant droite n’ayant plus de prise au sol, tourne librement comme une fofolle. Aucune possibilité de s’en sortir seul. Un quatre-quatre de passage m’a treuillé pour mettre fin à cette inconfortable position. Qui condamnait la seule route transversale de l’île. Une fois le camion remis sur le bitume, arrivèrent les gendarmes toutes sirènes dehors que des automobilistes immobilisés avaient prévenus.

On en parla longuement dans les troquets de la paroisse, où j’invitais mes sauveteurs bretons. Une bien belle soirée de libations et de plaisanteries fines sur notre partie de jantes en l’air. Est-ce l’insularité ? Le téléphone arabe fonctionne admirablement sur ces territoires clos. Un léger incident enrichit les conversations. Difficile d’y passer inaperçus ! Car, par la suite, chaque fois que nous croisions des îliens, il me semblait les voir se pousser du coude en riant sous cape.

Rapportons encore un autre dérapage piteux, dans une oasis tunisienne celui-là. Où je suis resté en carafe pour m’être trop approché d’une fontaine cernée de flaques. J’y serais toujours sans l’aide des lavandières du ksar voisin. De robustes fatma qui, délaissant baquets et battoirs, s’unirent pour dégager l’objet de ma fierté. Ho hisse ! Tout cela dans une débauche de rires et de quolibets bien mérités. Merci mesdames.

Ces petits inconvénients ont au moins l’avantage de créer des souvenirs. Je n’en manque pas depuis que je pratique en priorité un camping qu’on dit « sauvage ». Voila un terme ancien dont les camping-caristes ne sont pas les seuls « bénéficiaires ». Jean Hureau le signale comme « consacré par l’usage » (c’est-à-dire bien ancré) dans Camping et caravaning, guide paru en 1967. Et Hervé Bazin l’utilise dans Le neuvième jour en soulignant « …la rudesse de la saison qui ne décourageait pas non plus des retraites folles, des campings sauvages sur les îles de la Loire… » Bien qu’elle soit courante aujourd’hui, je n’aime guère cette appellation qui nous redescend dans l’évolution de l’espèce. Pouacre ! Je suggère écologiquement l’épithète « naturel ». Ecolo-gazole, d’accord, mais écolo quand même.

Quels que soient son état-civil et l’âge de son implantation, cette sauvagerie qualifie un mode de stationnement mis à l’index par bons nombres de nations développées. Essayez donc de vous arrêter dans une forêt québécoise ou près d’un moulin hollandais. Bien que certains états le tolèrent. Se parquer de nos jours sur les airs d’Italie (ne parlons pas de la Sardaigne…) ne pose aucun problème. Sauf quand d’autres véhicules squattent l’intégralité des espaces réservés pour nos pareils.

Et la France ? Disons que mis à part les efforts réels faits par certaines municipalités (quatre emplacements en bord d’océan à Saint-Pol-de-Léon, le courant électrique gratos sur l’aire de Donzenac, etc.) nous sommes encore trop souvent priés d’aller nous faire admirer ailleurs. Ouais, les ministres chargés du dossier ont tranché en notre faveur. Sans condamner pour autant les maires coupables d’ostracisme. Ajoutons qu’à quelques exceptions près, ceux-ci s’en foutent royalement et continuent d’exercer leur impérialisme de petits chefs. Les textes pondus en haut lieu dans l’Hexagone me paraissant sibyllins, allons voir plus loin.

Un exemple, la Grèce du nord. Dès l’entrée par la frontière d’Evzone que garde, justement, un magnifique evzone en fustanelle, une ordonnance nationale ne fait pas le détail : « Il est interdit de camper hors des lieux organisés, loi n° 392-1976 ». C’est clair et net comme un verre d’ouzo non encore humecté. Or je ne connais pas de pays européen où il m’ait été plus facile de trouver un gîte hospitalier. Où quiconque, civil ou militaire n’a jamais excipé de ce texte pour nous faire décamper.

Que de sites extraordinaires dont nous avons été les hôtes reconnaissants ! Des ports mouchoirs de poche où l’on s’éveille heureux, le long d’un bassin aux barques versicolores, bordé de bistros dressant leurs nappes à carreaux au ras de la flotte, de maisons de style ottoman en lattes de bois, avec quelques chats cossards, des géraniums dans de vieux bidons d’huile rafraîchis d’un reste de peinture, le tout coiffé de quartiers en étage à l’ombre d’un kastro génois ! Molivos… Galaxidi… Iraklitsa… Que de fois, apercevant une crique du haut de la route ou même au vu d’une carte postale prometteuse, nous avons décidé :

« C’est là que nous dormirons ce soir ». Et, neuf fois sur dix, l’éden en question nous offrait l’hospitalité jusqu’au limbe du petit matin.

Dans ma mémoire, les images se télescopent. Heureuses. Ou rigolotes, ce qui n’est pas incompatible. L’aire de stationnement aménagée de Ribes, au Danemark, où l’on peut séjourner deux jours d’affilée dans des conditions optimales… Celle de Schwäbisch Hall, petite cité souabe, anormalement calme puisque toutes les autres sont bondées… renseignements pris, c’est le parking de la prison municipale (fou rire et changement de voisinage)… Les arènes landaises de Soustons où l’on se glisse sous les tribunes pour s’abriter de l’eau du ciel… Le parc Frogner, à Oslo, sous la garde des plantureuses statues de Vigeland… La lagune de Trieste où nous sommes tirés des draps par la « démoustiqueuse » de service, petite voiture genre « propreté de Paris » qui passe et repasse dans d’épaisses volutes de fumée… La biche suisse (pas facile à prononcer) que j’effraie en ouvrant la porte, très tôt, à l’orée d’un bosquet jouxtant le lac de Constance… La soirée passée à Paestum, juste devant le temple de Cerere, flamboyant sous ses projecteurs, sur un parcheggio custodito dont le gardien devait être en congés… Nos yeux éblouis à Formentera, sur les dunes d’Illetas, balisées, protégées, bruissant de colverts et d’échassiers. Quelle splendeur de se réveiller dans la roseur et la rosée de l’aube, avec comme toile de fond le rivage d’Ibiza, d’où se détache la découpe tourmentée de la réserve d’Es Vedra !

Notons aussi la balade proposée à Agrigente par un des flics de garde. Après l’heure de fermeture, très tard le soir. Dans le dédale des sanctuaires de Déméter où le Sicilien galonné nous laissa nous débrouiller seuls. Il avait affaire ailleurs. Surveiller l’alentour bien sûr. Et notamment, notre motor-home garé sur le parking proche où nous avons dormi comme si Morphée avait effleuré nos paupières d’un pétale de ses pavots.

Enfin, s’il me fallait désigner à tout prix un lauréat, j’opterai pour l’Egypte. Ou, là encore, mon cœur balance entre deux vignettes de mon keepsake. Nos émerveillements, au premier jet du jour, quand un soleil nouveau-né frappe de plein fouet les géants d’Abou-Simbel. Lorsque, comme nous, à la recherche du Rayon Vert, deux ou trois lève-tôt sont reçus en audience privée par Ramsès II et Néfertari ! Comment pourrais-je aussi oublier notre première nuit au Caire, pare-brise presque collé contre l’arête de la grande pyramide de Chéops ?

Vous ne me croyez pas ?… Vous avez tort. Car devant ce patrimoine de l’humanité nous avons villégiaturé sans complexe. La terre des pharaons grouille d’autocars de tourisme. Mais, vu les conditions dispendieuses d’admission de tout ce qui roule en provenance de l’étranger (caution exigée, deux fois le prix d’achat !), sûrement pas de camping-cars individuels. La somme des formalités nécessaires est un bel exemple de complexité paperassière. J’en reparlerai dans un chapitre consacré aux passages en douane… Bref notre mode de transport avait dû susciter la curiosité et la sympathie du planton. Après quelques bonnes manières de notre part, tasse de café maison, chocolat pour les enfants, paire de chaussettes pour lui, il nous réservait un présent royal. La visite de tombeaux prohibés pour le commun (dixeunt les pancartes entrevues dans la demi-obscurité). A la lueur d’une torche électrique, sans commentaire, mais nous tenant la main, peut-être pour nous rassurer de la présence fantasmagorique d’ombres dansant sur les murs ? Avec en lointain fond sonore, les abois de chiens errants et les glapissements de renards des sables.

 

 

(Suite dans les autres chapitres)